19&20 - Crête, hors des cartes

Après trois jours de randonnée ponctuée d’escalade, Sepideh approchait enfin du sommet. Son équipement léger lui donnait une bonne capacité de mouvements et assurait plusieurs semaines d’oxygène, mais ne contenait pas tous les gadgets qui aidaient les autres explorateurs de sa mission. Là où ceux-ci cartographiaient des pans entiers de la planète rouge chaque semaine, elle n’avait qu’un seul objectif: explorer et documenter Brown Vallis, la minuscule vallée entourée de montagnes escarpée et perpétuellement recouverte de nuages qui avait jusqu’à présent refusé de livrer ses secrets face à toutes les tentatives d’exploration: par satellite, drone, et robot d’exploration. Alors que Sepideh atteignait la ligne de crête, sa curiosité la tiraillait, elle se préparait mentalement à la suite. Elle s’était formulé toutes sortes d’hypothèses, des plus ennuyeuses aux plus excitantes, et avait même été formée spécifiquement au premier contact avec une civilisation extra-terrestre. Arrivée au sommet, elle sut instantanément que toute cette préparation ne serait pas pour rien: premièrement elle pouvait distinguer des bâtiments et de la végétation sur une large part de la vallée, et d’autre part, comme cela avait été conjecturé, elle repéra rapidement sur le pourtour de la vallée un réseau de cheminées dégageant une épaisse vapeur, les nuages perpétuels couvrant la zone n’étaient donc pas naturels. La descente fut plus rapide que la montée. Elle avait repéré depuis les hauteurs le début d’une route qui traversait la vallée et débutait à proximité. Une silhouette humanoïde se dégagea sur la route, qui la regardait en la saluant d’un grand geste. Sepideh rejoint la silhouette qui se présenta comme Trevina, dans une langue parfaitement compréhensible. Trevina était enjouée et énergique, la rencontre qu’elle avait préparée depuis de si nombreuses années arrivait enfin. Trevina était arrivée sur Mars quelques siècles auparavant, pour remplacer une autre bio-ingénieure de son espèce. Elle expliqua que leur rôle était, à l’aide d’un appareil émettant un faisceau d’ondes extrêmement précis, de provoquer des mutations sur les espèces terrestres pour les faire évoluer. La mission avait débuté au moment de l’explosion cambrienne et chaque aspect de l’évolution à partir de là avait été contrôlé par les bio-ingénieurs. Certains, artistes dans l’âme, avaient créé les espèces animales et végétales les plus belles, colorées, harmonieuses ou loufoques. D’autres s’étaient contentés, touche après touche, de faire ressembler par tous aspects l’espèce humaine à leur propre espèce. Trevina montra à Sepideh les très nombreuses esquisses, les brouillons, tous les essais et erreurs conservés dans des cuves de stase. L'original de la Grande Galerie de l’Évolution. Sur les innombrables planètes où officiaient les homologues de Trevina, il arrivait occasionnellement que les espèces créées atteignent un niveau d’autonomie leur permettant de rencontrer leurs créateurs, et c’était souvent une grande fierté pour les bio-ingénieurs de procéder au premier contact. L’arrivée de Sepideh signifiait également que dans quelques mois, après l’avoir formée, Trevina laisserait à Sepideh les clés de l’évolution humaine, et l’encouragerait, bientôt, avec le reste de l’humanité à aller essaimer de nouvelles planètes. La grande guilde des bio-ingénieurs accueillait aujourd’hui une nouvelle espèce, qui comme la vaste majorité d’entres elles était issue de sa propre création.

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