22 - Camp
La fraîcheur de la nuit naissante commençait à tomber mais à côté du feu, Vildan ne la sentait qu’à peine. À quelques mètres, un violon titillait un ukulélé, les deux instruments dans des mains expertes explosaient en notes vibrantes et enjouées dans une conversation emprunte d’amitié et d’espièglerie, mais elle n’en entendait presque rien. Vildan regardait le feu, l’écoutait crépiter, et à chaque inspiration se concentrait sur l’odeur du bois et la chaleur de l’air, mêlés à l’atmosphère de la forêt. La fête tout autour d’elle, presque en sourdine, la fatigue d’une longue journée de marche, et d’un bon repas terminé l’attiraient inlassablement vers une douce inconscience. Petit à petit, Vildan vit le feu, puis dans le feu, puis à travers le feu. Elle vit le regard d’un homme épuisé et blessé, habillé de peaux, qui se réchauffait et se soignait près du feu. À une autre époque, elle vit une femme dans une maison en pierre, anxieuse, qui attendait le retour de son amant, près du foyer. Ailleurs encore dans le temps, elle vit une mère et son fils, assis près du poêle, se demandant si leurs maigres charbons tiendraient la nuit. En l’espace d’un instant qui dura plusieurs heures, Vildan croisa le regard de toutes celles et ceux qui, depuis toujours et à tout jamais, avaient regardé à travers le feu comme elle. Elle apercevait Prométhée qui observait la torche volée à Zeus en allant l’offrir à l’humanité, et dans les dernières braises rougeoyantes, elle vit la dernière représentante de l’espèce humaine, rescapée du crash de son vaisseau en pleine nuit sur une planète inconnue, qui regardait celui-ci se consumer lentement en flammes d’un vert intense.
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