29&30 - Navigatrice, Violon

Après plus de vingt ans à tourner dans les salles de concert aux quatre coins de la galaxie, Caitríona regarda s'éteindre les lumières du cockpit du Borealis, elle était enfin prête à entamer sa nouvelle vie. Le voyage interstellaire s'était beaucoup popularisé dans les quinze dernières années, principalement grâce aux premiers pas dans l'utilisation des trous de vers permettant de voyager à travers l'hyperespace. Si la technologie pour entrer dans cette zone liminale de la réalité avait été inventée près d'un demi-siècle auparavant, il s'était agi de trouver comment et surtout où en sortir. Du fait que les lois usuelles de propagation des ondes électromagnétiques étaient différentes dans l'hyperespace, on ne pouvait compter ni sur l'aide d'appareils électroniques, complètement inopérants, ni sur la vue, le concept même de lumière étant antinomique avec l'existence de cet étrange milieu. La racine du problème fut comprise par les premières générations de scientifiques qui s'intéressèrent à la question: il s'agissait d'un espace en moins quatre dimensions. En conséquence, toute tentative pour essayer de comprendre comment évoluer spatialement à l'intérieur était vouée à l'échec pour les cerveaux humains, et un trop grand nombre des vaisseaux d'exploration avaient, malheureusement, été perdus. On avait bien tenté de créer des simulateurs et des dispositifs ergonomiques, pour préparer les pilotes et leur offrir des moyens de diriger leur appareil, mais rien n'y faisait. On s'était alors résolu à limiter les incursions dans l'hyperespace aux trajets les plus sommaires, ceux qui ne nécessitaient aucun pilotage. Entrer, attendre quelques minutes ou plusieurs heures dans le noir sans bouger, sortir. Même si cela avait permis l'avènement et la démocratisation du voyage interstellaire, celui-ci avait du se limiter aux trajets simple. Certains trajets qui auraient théoriquement été possibles en quelques minutes à peine nécessitaient plusieurs centaines de sauts, et plusieurs semaines. Et ce jusqu'à la mise au point récente par la géniale Professeure Dagný Tjörvadóttir du sonoritrope, un dispositif analogique qui permettait par un habile mécanisme de paroi nanocristaline vibrante de convertir la "position" du vaisseau en son, et vice versa. Les expériences très concluantes s'étaient enchaînées et avaient permis de mettre rapidement sur pied une théorie musicale grâce à laquelle une oreille aiguisée pouvait comprendre comment se repérer, et comment se diriger. Caitríona, instrumentiste prodige avait participé à ces travaux et était la première pilote formée pour le voyage dit "sonoritropal". Quelques heures après le décollage, alors que le vaisseau franchissait l'entrée trou de ver, que la lumière et l'apaisant vrombissement continu des appareils avaient laissé place à un vide menaçant, elle se leva dans le silence, entourée des trois membres d'équipage du Borealis qui l'écoutaient religieusement, activa le sonoritrope, posa son violon sur l'épaule, et entama la création interplanétaire de la Sonate en sol majeur de Tjörvadóttir numéro une, dite "Du Soleil à Proxima du Centaure".

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