27 - Oignon

Le grand patron du consortium Absolute avait été très clair dans le message pré-enregistré de quatorze minutes que tous les employés devaient regarder à l’embauche et à nouveau tous les ans: pour que la multinationale fonctionne à tous les niveaux, il était impératif, je répète, im-pé-ra-tif, que chacun respecte son rang et ne participe pas à désorganiser l’entreprise. Celle-ci avait une structure hiérarchique parfaitement logique et adaptée, en oignon, où chaque employé n’échangeait qu’avec son propre manager. Cette règle qui ne souffrait aucune exception avait permis de développer dans l’entreprise des synergies exceptionnelles, ouvrant la voie à des accords qui avaient libéré l’entreprise des carcans du code du travail pour le faire rentrer de plain-pied dans l’ère moderne, en la préservant du développement de structures anarchistes comme des syndicats remplis d’agitateurs. Fin de citation. Évidemment, les employés avaient invariablement besoin de parler avec des collègues pour gérer le quotidien, donc la règle valait surtout au sens de: ne vous faites pas attraper. Après quelques mois, la plupart des salariés, comme Aella, se retrouvaient au moins une fois réprimandés, les récidivistes écopant de sanctions salariales. Ainsi, le jour où Aella vit le directeur général s'écrouler d'une crise cardiaque dans le parking, elle monta patiemment à son bureau et fit un long mail détaillé à sa coordinatrice, qui lui fixa un rendez-vous le jour-même pour évaluer la situation, avant de décider de faire de même, et dans le respect total d'une hiérarchie synergique, logique et adaptée, les secouristes vinrent avec un défibrillateur tenter une réanimation cinq jours plus tard.