28 - Squelettique

Pour beaucoup de chanceuses et chanceux, la fête des morts était surtout une fête. Des costumes de squelettes et du maquillage, des couleurs, des crânes décorés, de la danse et beaucoup de musique. Des rues pleines d'animation, de bonnes odeurs. On jouait avec la mort pour se rappeler qu'on était en vie, pour exorciser les pensées macabres. Pour toutes celles et ceux qui avaient perdu un être cher, c'était surtout l'occasion annuelle d'accomplir le rituel pour échanger quelques mots avec leurs disparus. Certains se donnaient des nouvelles, échangeaient des banalités ou du support émotionnel avec leurs proches décédés. D'autres essayaient d'en savoir plus sur l'au-delà. Certains préparaient toute l'année leur échange en écrivant des textes déclamés avec solennité, d'autres, tellement submergés par l'émotion, peinaient à dire un seul mot avant que leur temps ne soit écoulé. Beatriz n'avait jamais apprécié ce rendez-vous. Elle avait aimé sa femme pendant un quart de siècle et partagé avec elle les meilleurs moments de sa vie. La disparition tragique de celle-ci avait été une épreuve et, tous les ans depuis lors, leur réunion rouvrait la plaie dans son cœur. Mais il y avait quelque chose d'inachevé dans leur relation, et elle comptait bien utiliser cette opportunité pour le clôturer, et, enfin, faire son deuil. En accomplissant le rituel ce soir-là, pour la dernière fois, Beatriz repensait à toutes les belles choses de leur vie commune. Quand le visage squelettique de la disparue apparut dans le miroir, elle n'eut plus qu'une chose à dire: Reine en A7, échec et mat.